La pandémie : une chance pour nous parler en vérité (Abbé Patrice Boursier)

    
    
    Depuis des mois, la pandémie de Covid 19 met à l’épreuve notre société et notre Eglise. La participation à l’eucharistie a été rendue impossible ou difficile. Les paroisses ont réagi différemment face à cette situation.

    Sur nos trois paroisses, Saint Pierre des Deux Lays, Sainte Croix des Essarts et Saint Etienne de Grammont, afin que perdure la communion au sein de nos communautés, a été mis en place un blog ; beaucoup de mails ont circulé et nous avons maintenu, quand cela était possible l’édition d’un bulletin papier. L’insistance a été portée sur la méditation de la Parole de Dieu qui constitue une vraie nourriture puisque l’Eglise, à son sujet, parle de « table de la Parole ».


 Il est vrai que l’eucharistie constitue la source et le sommet de la vie chrétienne tel que l’a exprimé le Concile Vatican II (1962-1965). Mais là encore, il convient de rappeler que l’eucharistie ne porte des fruits que si elle est suivie d’une vie évangélique. Et surtout, quand la participation à l’eucharistie n’est pas possible, l’Eglise assure que Dieu pourvoit, c'est-à-dire qu’Il donne immanquablement son Esprit Saint à ceux et celles qui essaient au moins de vivre selon l’Evangile. Et l’Esprit Saint est le don de Dieu, par excellence. Il n’y en a pas de plus grand. Le cardinal Joseph Ratzinger devenu, en 2005, le pape Benoît XVI, a pu écrire : « L’amour quotidien, habituel, des chrétiens les uns pour les autres est une part essentielle de l’Eucharistie elle-même ». Autrement dit, les gestes fraternels sont aussi liturgie, sont aussi « eucharistie ».

    Si donc l’eucharistie est essentielle, il y a plus essentiel encore : la vie évangélique. Participer à l’eucharistie n’est pas une garantie de salut (il reste à mettre en pratique ce qu’on y reçoit). Par contre, vivre l’Evangile est la garantie d’être sauvé.

    Maintenant, venons-en à la situation que nous avons connue récemment où nous étions limités à 30 personnes pouvant participer à la messe (décision gouvernementale difficile à comprendre et à justifier, il faut bien le reconnaître). Des paroisses ont choisi de multiplier le nombre de messes. Personne n’était obligé de faire le même choix et, de fait, ce n’est pas l’option que nous avons retenue pour nos trois paroisses.

    Même en multipliant le nombre de messes, nous n’aurions pas pu accueillir tous les pratiquants habituels.

    D’autre part, fallait-il mobiliser pour cela les prêtres de 75 ans et plus ? Certes, il s’agissait d’un dimanche exceptionnel. Mais, à notre sens, il y a plutôt urgence à se mobiliser pour assumer, avec tout le Peuple de Dieu, le fait que nous changeons incontestablement de figure de l’Eglise. Or, depuis plusieurs décennies, il faut bien reconnaître que l’on berne les fidèles en leur faisant croire que le modèle d’Eglise de chrétienté va pouvoir perdurer. Mais il y a déjà belle lurette que ce modèle a trouvé ses limites. Dans la même ligne, on nous a fait croire également (et parfois, on veut le faire croire encore) que la Vendée, de par son histoire, pouvait passer à côté de ces profondes mutations. Force est de reconnaître qu’il n’en est rien.

    Attention donc à l’illusion que produit encore le nombre de prêtres présents en paroisse dans notre diocèse : mes quatre collègues vendéens ont tous 75 ans ou plus ! Nous ne devons pas faire reposer une pastorale sur ces prêtres qui, certes, rendent encore de réels services, notamment celui de me permettre de m’absenter pour assumer ma responsabilité diocésaine auprès des diacres. Mais le service le plus précieux dont je bénéficie par leur présence est celui de la fraternité que nous vivons entre nous.

    Très concrètement, sur les trois paroisses, il y a actuellement 6 prêtres. Une hypothèse tout à fait réaliste est celle que je sois le seul dans quelques années seulement. Nous sommes heureux d’accueillir l’abbé Léon Edouard Ndour aux Essarts, mais comme le dit notre évêque Mgr Jacolin, « faire venir des prêtres de l’extérieur du diocèse n’est pas une solution ». C’est avant tout un moyen d’échanger avec d’autres diocèses (encore faudrait-il que nous envoyions des prêtres de Luçon dans ces autres diocèses, ce qui, malheureusement, n’est pas le cas).

    Sommes-nous préparés à de tels bouleversements ? En fait, quand on relit l’histoire des cinquante dernières années, on peut faire le constat heureux que l’apostolat des fidèles-laïcs a beaucoup progressé, c'est-à-dire leur implication tant dans la vie de la société que dans celle de l’Eglise, notamment par la participation à la gouvernance. Les équipes pastorales dont je relaie ici la réflexion en sont un bel exemple. Je ne vois pas comment, aujourd’hui, je pourrais faire sans ces instances de conseil, pastoralement, spirituellement… et psychologiquement ! Des bouleversements, nous en vivons donc depuis 50 ans.

    Certains diront : « Mais voyez-vous la situation dans laquelle nous sommes ! » A ceci, je réponds : « Oui, ces évolutions rapides et profondes donnent parfois le vertige mais, pour ma part, depuis que j’ai été ordonné, je n’ai jamais regretté d’être prêtre à l’époque que nous vivons. C’est dans le monde et l’Eglise d’aujourd’hui que je me suis épanoui dans mon ministère. En portant un regard négatif sur la situation de l’Eglise d’aujourd’hui et sur les évolutions qu’elle a connues, voudrait-on nous donner honte d’être heureux comme prêtres ou comme diacres ou comme fidèles-laïcs ?

    Il y a beaucoup moins de prêtres et on entend dire parfois : « Dieu appelle toujours autant aujourd’hui qu’hier », sous entendu : « On ne fait pas ce qu’il faut pour les vocations. » Je suis convaincu moi aussi que Dieu appelle toujours largement mais appelle-t-il à ce qu’il y ait autant de prêtres ? Rien de moins sûr ! Veut-il faire perdurer la figure de l’Eglise qui a prévalu pendant des siècles ? Qui peut l’affirmer avec certitude ? Ce que Dieu veut assurément depuis les premiers chrétiens, c’est que nous vivions pleinement l’Evangile et ce sera toujours ainsi que nous l’annoncerons à nos contemporains. Comme les évêques de France ont pu le dire : « Les temps actuels ne sont pas plus défavorables à l’annonce de l’Évangile que les temps passés de notre histoire. »

    Je ne cesse aussi de rendre grâce pour les prêtres, les diacres (un beau ministère qui s’est épanoui depuis 50 ans justement !) ou les baptisés que je côtoie, qui ne cessent de m’édifier, qui ont accueilli positivement bien des mutations avec les remises en cause auxquelles elles appelaient et qui rayonnent (sans ostentation déplacée) de leur foi, une foi approfondie souvent au creuset d’épreuves de toutes sortes.

    Ainsi, je crois que nous gagnons à regarder la réalité en face et à développer une pastorale qui ne repose pas avant tout sur les prêtres (surtout pas sur les prêtres de 75 ans).

    Dans cette perspective, nous aurions pu comme nous l’avions fait en sortant du premier confinement, proposer des célébrations de la Parole (sans eucharistie mais avec communion) dans chaque église, le dimanche 29 novembre. Des diocèses en France, comme le diocèse de Reims guidé par Mgr Eric de Moulins-Beaufort, proposent ce genre de célébrations dominicales conduites par des fidèles-laïcs. Et nous savons qu’y participent des personnes qui, trop âgées pour certaines, ne se déplaceraient pas au lieu où est célébrée une eucharistie.

    Nous y avons renoncé pour ce dimanche où nous sortions du confinement, ne nous y sentant pas suffisamment préparés.

    Nous nous en sommes donc tenus aux messes programmées. Multiplier les eucharisties n’aurait pas été éducateur car nous avons le devoir de nous mettre face à la réalité, du rural notamment. Dans un avenir très proche, nous aurons encore moins de célébrations eucharistiques, c’est sûr. Ce qui est tout aussi sûr, c’est que Dieu nous sera tout autant présent si nous lui gardons le cœur ouvert, c'est-à-dire si nous gardons le cœur ouvert aux hommes et aux femmes de ce temps sans les accabler parce qu’ils nous semblent loin de l’Eglise (Là encore, qui peut dire avec certitude qu’ils sont plus loin de Dieu que nous le sommes ?) Mais, c’est vrai, nous avons besoin les uns des autres pour tenir dans l’espérance. Puisse ces propos que j’ai, au préalable, partagés avec nos équipes pastorales, nous y aider ?

    Au plaisir de dialoguer avec ceux et celles qui le désirent.

Patrice Boursier, curé.