Ministres du seuil

 

Luc Martin : Transmettre la Parole

[série de carême 5/6] Pendant le carême, découvrons des personnes qui œuvrent discrètement à faire de nos célébrations des moments de joie et de prière. Cette semaine, Luc Martin, époux et père de famille, est diacre permanent en Vendée.

Par Alexia Vidot

Publié le 24/03/2023 à 10h11, mis à jour le 24/03/2023 à 10h11 • Lecture 8 min.

• THOMAS LOUAPRE / DIVERGENCE

Si je n’étais pas né à Carquefou, petite ville bourgeoise de la périphérie de Nantes (Loire-Atlantique), mais en Inde par exemple, ou en Afghanistan, serais-je catholique ? Sans doute que non ! D’où vient cette prétention du christianisme à la vérité ? Pourquoi les chrétiens auraient-ils plus raison de croire en un seul Dieu plutôt qu’en plusieurs ? Au fond, qui est vraiment Dieu ?


Ces questions que l’on devrait tous affronter un jour ou l’autre, je me les suis posées à l’adolescence. Je bouillonnais d’autant plus d’interrogations et de doutes que toute mon enfance, j’étais allé à la messe par habitude, sans chercher à comprendre. J’ai cessé de m’y rendre à 15 ans, au début de ma formation pour devenir pâtissier. L’année suivante, j’ai décroché de l’Église, complètement et résolument. Je me suis alors intéressé aux autres religions. Puis j’ai essayé de déchiffrer le monde à travers le prisme de la science plutôt que de la foi, cela semblait plus logique à mon esprit scientifique. Mais à chercher dans tous les sens, je ne me retrouvais nulle part. À vouloir tout voir, je ne voyais plus rien du tout !

• THOMAS LOUAPRE / DIVERGENCE

Première bascule : le projet de vie des futurs mariés

Les rares occasions où je devais aller à la messe, je ne communiais pas. Je me sentais si loin des choses de Dieu ! Et pourtant, au baptême de l’un de mes neveux dont je suis le parrain, je me suis dit qu’il y avait là, tout de même, quelque chose de beau. De tels instants ne s’expliquent pas, ne se prouvent pas : ils se vivent. En les vivant, on comprend avec le cœur, et non avec la tête, qu’on est sur le bon chemin.

Mais c’est surtout ma ­rencontre avec Aurélie, et donc l’amour humain, qui m’a ouvert à l’amour de Dieu. Même si nous ne mettions presque jamais les pieds à l’église, nous avons décidé de nous y marier, par tradition comme on dit. Et la préparation au mariage a été une étape décisive dans notre retour à l’Église.

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Le projet de vie que les futurs mariés doivent rédiger m’a permis de prendre le temps de la relecture. Je me suis alors souvenu que j’avais noué une vraie relation avec Jésus dans mon enfance. Je lui parlais comme à un ami. J’ai compris aussi que Dieu avait continué d’être là quand je vivais comme s’il n’existait pas.

Quand je me croyais, à tort, plus libre et plus fort sans lui. Il avait eu de l’importance dans mes décisions, car il m’avait construit. Ses lois n’étaient pas des épées de Damoclès au-dessus de ma tête, mais des supports sur lesquels m’appuyer, des repères pour m’aider à mieux vivre, des balises qui m’indiquaient la bonne direction, celle du bonheur.

À la naissance de notre première fille, Éloïse, le baptême nous est apparu comme une évidence. Un couple de la paroisse de Sainte-Florence ­ (Vendée), où nous habitions déjà, est donc venu à la maison pour nous y préparer. De cette rencontre avec Madeleine et René, diacre permanent, est née une belle amitié. Grâce à eux, nous avons mis le pied à l’étrier ! Aurélie a intégré la chorale paroissiale.

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Quant à moi, j’ai d’abord été sacristain. Ce service me semblait naturel, car mon père avait été marguillier à Carquefou : chaque année, le curé désignait trois ou quatre hommes pour le suppléer dans les fonctions matérielles de la paroisse, dont la sacristie. J’ai rejoint ensuite l’équipe liturgique qui se retrouve autour de la Parole (et d’un verre !) pour préparer la célébration du dimanche.

• THOMAS LOUAPRE / DIVERGENCE

Engagement dans la préparation au mariage

Notre engagement s’est accentué quand on nous a proposé de nous investir dans la préparation au mariage. Nous avons accepté sans hésiter, car nous allions pouvoir transmettre ce que nous avions reçu, devenir des témoins de la beauté, de la joie d’être chrétien. Voilà près de 15 ans que nous accompagnons des jeunes couples qui ont un lien distendu avec l’Église ; nous accueillons ceux-là, pas les convaincus. Nous essayons de faire avec eux ce que d’autres ont fait pour nous : ne pas leur dire « vous n’êtes pas dans les clous », mais les prendre là où ils en sont et leur donner le goût de la rencontre avec Dieu.

« Je suis croyant, pas pratiquant », nous disent-ils souvent. À partir de cette affirmation, j’aime les faire réfléchir sur ce que c’est que la foi : non pas d’abord des valeurs, mais une relation avec une personne, Dieu. Quand vous voyez quelqu’un dans la détresse, vous n’allez pas l’aider ? Vous ne pardonnez ni ne demandez jamais pardon ? Si ? Mais alors, vous êtes pratiquants en quelque sorte, car c’est ce à quoi Jésus nous invite. Par contre, êtes-vous capables de me dire droit dans les yeux que Jésus a été envoyé par Dieu pour pardonner nos péchés, qu’il est mort et ressuscité ? Non ? Alors vous n’êtes peut-être pas si croyants que cela !

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J’ai décidé d’arrêter mon métier de pâtissier au bout d’une quinzaine d’années pour avoir davantage de temps à consacrer à ma famille. Quelques jours plus tard, coup de fil du curé de l’époque et de Martine, membre de l’équipe pastorale : « Pouvons-nous venir un soir pour discuter ? » Avec Aurélie, nous nous attendions à tout sauf à ce qu’ils allaient nous demander, à savoir : « Avez-vous déjà pensé au diaconat ? » Nous avons bien voulu y réfléchir, ce que nous n’aurions pas pu faire si j’avais été encore pâtissier ; je voyais là un petit signe de la Providence. Après plusieurs mois de discernement, de discussions avec Patrice, prêtre responsable du diaconat, René, Madeleine et quelques proches, nous nous sommes lancés sur le chemin vers l’ordination diaconale que j’ai reçue le 1er octobre 2016.

• THOMAS LOUAPRE / DIVERGENCE

Le diacre : un pont entre le prêtre et les fidèles

Le diacre n’est pas un pasteur de l’Église, mais un simple serviteur du Christ, c’est d’ailleurs la signification même du mot grec diaconos. Si demain il n’y avait plus de prêtres, mon rôle ne serait pas de les remplacer, de guider le peuple de Dieu à leur place. Je suis époux, père et employé d’une scierie ! La première mission du diacre est d’ailleurs d’être chrétien dans sa famille et son travail. La seconde est de transmettre la Parole. « Recevez l’Évangile du Christ, que vous avez la mission d’annoncer. Soyez attentif à croire à la Parole que vous lirez, à enseigner ce que vous avez cru, à vivre ce que vous aurez enseigné », dit ainsi l’évêque le jour de l’ordination.

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Avant d’être diacre,
je me disais qu’écrire des homélies ne devrait pas être trop compliqué pour moi. Je suis quelqu’un qui témoigne facilement de sa foi et je suis très attaché à la Parole dont je me nourris au quotidien. En revanche, je craignais de ne pas être très à l’aise à l’autel, avec mon aube et mon étole. Étonnamment, c’est tout l’inverse 
(rires). Je peine à mettre des mots sur ce que je veux dire, j’y passe un temps fou ; heureusement que je ne suis pas d’homélie tous les dimanches ! Et j’aime beaucoup le service de la table du Seigneur. Parce que je suis à la fois un ministre ordonné et un homme qui mène une vie ordinaire, j’ai l’impression d’être un pont entre le prêtre et les fidèles, de raccourcir la distance entre les deux.

Deux autres missions particulières

Et puis être au cœur de l’action, si j’ose dire, m’y rend plus attentif. J’entends chacune des paroles du célébrant, je vois de près chacun de ses gestes. Je suis acteur de la liturgie, et non pas spectateur. J’y participe activement, avec ma tête, mon cœur, mon corps. Le concret a toujours été important pour moi, peut-être parce que j’ai grandi dans une ferme. Une étude explique que l’on retient 20 % de ce que l’on entend, 50 % de ce que l’on entend et voit, et 90 % de ce que l’on vit. J’expérimente cela à chaque fois que j’assiste le prêtre durant l’eucharistie ! Mais les dimanches où je suis avec ma famille dans l’assemblée, je vis aussi la messe de manière plus profonde qu’avant.

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Dans ma lettre de mission, l’évêque de Luçon m’a confié deux autres missions particulières : la préparation au mariage et à la première communion. Je ne compte plus les couples qui me demandent de célébrer leur alliance ! En effet, par son ordination, le diacre est ministre ordinaire des sacrements du baptême et du mariage, et il peut aussi présider des funérailles. Aux fiancés comme aux enfants que j’accompagne, je veux annoncer la vérité de l’Évangile tout en prenant chacun là où il en est. N’est-ce pas ce que Jésus a fait ?

Le diacre est le ministre du seuil. Il met le pied dans la porte de l’église pour l’empêcher de se refermer. C’est un véritable défi dont une image rend bien compte : la parole de Dieu, c’est comme l’eau qui sort d’un robinet. Pour la transmettre à ceux qui s’en tiennent loin, vous y raccordez un tuyau. Mais celui-ci se décroche si vous vous en éloignez trop ! Le risque alors est de transmettre votre parole, et non plus la Parole.


La semaine prochaine : 6/6 Informer les paroissiens

Les étapes de sa vie
1979 
Naît à Nantes.
2004 Se marie avec Aurélie, avec qui il a quatre enfants.
2008 S’investit dans la préparation au mariage, à Sainte-Florence (Vendée).
2016 Ordonné diacre permanent dans le diocèse de Luçon.



Des ministres du seuil

Aux origines du christianisme, il existait déjà des diacres, ainsi de saint Étienne, le premier martyr. Ils s’occupaient en particulier des œuvres de charité en faveur des plus pauvres. Leur rôle n’a cessé ensuite de croître, dans la liturgie ou la catéchèse, jusqu’à ce que l’Église décide de considérer le diaconat comme un degré transitoire vers le sacerdoce. C’est le concile Vatican II qui va le rétablir comme un degré permanent du sacrement de l’ordre et ouvrir l’ordination aux hommes mariés depuis au moins 10 ans. Ces « ministres du seuil » sont aujourd’hui près de 3 000 en France.

• THOMAS LOUAPRE / DIVERGENCE

Méditation…
            « Diacres, j’attends que vous soyez humbles »

Discours du pape François aux diacres permanents du diocèse de Rome, 19 juin 2021.

« Les diacres ne seront pas des “demi-prêtres”, ou des prêtres de deuxième classe, ni des “servants d’autel de luxe”, non, il ne faut pas prendre ce chemin ; ce seront des serviteurs prévenants qui se donneront du mal pour que personne ne soit exclu et pour que l’amour du Seigneur touche concrètement la vie des personnes. En définitive, on pourrait résumer en quelques mots la spiritualité diaconale, c’est-à-dire la spiritualité du service : disponibilité à l’intérieur et ouverture à l’extérieur. Disponibles à l’intérieur, dans le cœur, prêts au “oui”, dociles, sans axer sa vie autour de son agenda ; et ouverts à l’extérieur, avec le regard tourné vers tous, surtout celui qui est resté à l’extérieur, qui se sent exclu. (…)
J’attends en premier lieu que vous soyez humbles. Il est triste de voir un évêque et un prêtre qui se pavanent, mais ça l’est encore plus de voir un diacre qui veut se mettre au centre du monde, ou au centre de la liturgie, ou au centre de l’Église. (…) En second lieu, j’attends que vous soyez de bons époux et de bons pères. Et de bons grands-pères. Cela donnera de l’espérance et de la consolation aux couples qui vivent des moments de fatigue et qui trouveront dans votre simplicité authentique une main tendue. Ils pourront penser : “Regarde un peu notre diacre ! Il est content d’être parmi les pauvres, mais aussi avec notre curé, et même avec ses enfants et avec sa femme !” Même avec sa belle-mère, c’est très important ! Tout faire avec joie, sans se plaindre : c’est un témoignage qui vaut plus que de nombreuses prédications. (…)
Enfin, j’attends que vous soyez des sentinelles : non seulement que vous sachiez repérer ceux qui sont loin et les pauvres – cela n’est pas si difficile – mais que vous aidiez la communauté chrétienne à voir Jésus dans les pauvres et dans ceux qui sont loin, tandis qu’il frappe à nos portes à travers eux. »